Bien que située à 100 kilomètres du tunnel routier du Gothard, la ville frontalière de Chiasso est loin d’être séduite par l’idée d’un deuxième tube. Visite sur place.
D’énormes parois antibruit bordent le dernier kilomètre de l’A2 à Chiasso avant la frontière avec l’Italie. Ces structures métal-verre conçues par l’architecte Mario Botta forment comme une allée d’arbres squelettiques. Qui symbolisent du même coup un problème majeur dont souffre cette commune frontière tessinoise: le trafic pléthorique qui la traverse et contre les nuisances duquel sa population doit être protégée.
La dernière sortie autoroutière avant la frontière est réservée aux camions en transit, qui accèdent alors directement, via une rampe et un virage en épingle à cheveux, à la zone d’attente douanière. En cet après-midi, l’aire de stationnement est bien occupée; les poids lourds y sont parqués en rangs serrés, venus de toute l’Europe. Les chauffeurs se pressent aux guichets de douane.
Pare-chocs contre pare-chocs
Des camions à perte de vue. Ici, l’Italie et la Suisse se touchent. Se superposent même, pourrait-on dire, car le territoire transalpin commence sur la colline. La rampe située sur la commune italienne de Ponte Chiasso et menant à la douane passe au-dessus de l’aire d’attente helvétique; les poids lourds y roulent en descente pour prendre, après le dédouanement, la direction du Gothard ou du San Bernardino. Des milliers de véhicules, jour après jour.
Des graffitis ornent le haut mur de la douane qui sépare les deux pays. Le message délivré est sans ambiguïté: «Mal Aria!», c’est-à-dire «air mauvais», expression créant un jeu de mots avec «malaria» (paludisme). A côté, on peut lire: «No al raddoppio», c’est-à-dire «non au doublement», sous-entendu «du tunnel routier du Gothard». Et sur un camion, on a peint l’injonction «Sul treno»: «sur le rail».
«Une catastrophe»
Bien que Chiasso soit située à plus de 100 kilomètres du portail sud du tunnel routier du Gothard, à Airolo, la question d’un second tube est, ici aussi, d’une brûlante actualité. Enfant du pays, Renzo Galfetti, l’un des avocats pénalistes les plus connus du canton du Tessin, s’est posé récemment en adversaire acharné d’un doublement du tunnel routier du Gothard. «Un deuxième tube serait une catastrophe, il ferait gonfler le trafic».
Selon lui, ce serait une catastrophe non seulement pour Chiasso, mais pour tout le Sottoceneri (le sud du Tessin), y compris Lugano: «Lugano se retrouverait isolée parce qu’elle ne serait plus accessible.» Dans une émission de la chaîne TV privée Teleticino, l’avocat a présenté un diagramme démontrant qu’un second tube ne ferait que déplacer dans la ville frontalière le goulet qui se forme au Gothard lors de bouchons. «Le Mendrisiotto étouffe déjà sous le trafic», s’insurge-t-il. «On ne peut plus continuer ainsi. Cette région est au bord de l’asphyxie. La pollution de l’air y est massive, avec des concentrations de poussières fines extrêmement fortes et une fréquence anormalement élevée de maladies respiratoires chez les enfants. «L’idée que l’on puisse résoudre les problèmes de trafic avec toujours plus de routes a fait son temps», estime l’homme de loi.
Les arguments de Renzo Galfetti rappellent ceux de l’Initiative des Alpes et des milieux environnementaux. Serait-il de gauche? «Non, et j’aimerais tordre le cou à cette schématisation selon laquelle la droite serait pour et la gauche contre un deuxième tunnel. J’argumente en pensant à mes enfants et aux générations futures.»
«Nous ne sommes pas stupides»
Face au problème de la pollution atmosphérique, qui ignore les frontières, ou à celui de l’urbanisation galopante, qui noie de plus en plus les communes dans une bouillie informe, les mouvements d’opposition au doublement du Gothard et à l’accroissement constant du trafic dans le sud du Tessin ont compris depuis longtemps la nécessité de s’organiser à l’échelle suprarégionale. C’est ainsi que l’association «SOS Mendrisiotto Ambiente» milite elle aussi contre le doublement du Gothard. Rolando Bardelli, médecin à Balerna, village proche de Chiasso, est l’un de ses membres: «Nous ne sommes pas stupides: nous savons qu’une deuxième galerie autoroutière induirait rapidement un surcroît de trafic dans le sud du Tessin». Et ce généraliste de brandir des chiffres alarmants: à Chiasso, durant les seuls mois de janvier et février 2012, il y a eu 45 jours de dépassement des valeurs limites relatives aux concentrations de poussières fines telles que fixées dans l’ordonnance fédérale sur la protection de l’air. SOS Mendrisiotto Ambiente a rallié l’Alliance Nord-Sud, au sein de laquelle 16 organisations environnementales – dont l’Initiative des Alpes – se mobilisent contre un deuxième tube et pour une politique du transfert route-rail plus efficace.
Autoroute bouchonnée par les camions
La commune de Chiasso n’a pas encore pris officiellement position sur la question du doublement du Gothard. «Ce dossier est important pour nous», admet cependant Umberto Balzaretti, secrétaire municipal. «Le trafic est un gros souci, et si, comme on le voit déjà maintenant, les files de camions en attente du dédouanement remontent jusqu’à l’autoroute, c’est la sécurité de tous les usagers qui est en jeu.»
Dans le quartier d’habitation s’étendant au-delà des imposantes constructions antibruit de Mario Botta, passe une petite route au bord de laquelle, dans un jardin ouvrier, un vieux monsieur est occupé à sarcler. Ces parois remplissent-elles leur office? «Oui, c’est plutôt calme ici, mais une chose n’a pas diminué: les gaz d’échappement et la pollution de l’air!»