18. novembre 2011

Nous avons invité deux élus fédéraux Tessinois, Dick Marty, conseiller aux Etats radical, et Fabio Pedrina, conseiller national socialiste et président de l’Initiative des Alpes, à débattre de la question d’un deuxième tunnel routier au Gothard. Ils ne s’accordent que sur un point: il faut limiter le trafic poids lourds.

Les citoyennes et citoyens suisses ont déjà refusé à plusieurs reprises un doublement du tunnel routier du Gothard. Pourquoi remettre encore une fois cette question sur le tapis?
Dick Marty: Le peuple n’a jamais eu ­l’oc­casion de s’exprimer uniquement sur la question d’un second tunnel. Il a toujours eu à se prononcer sur des dossiers qui comportaient plusieurs projets de construction. Le fait que l’on ait dit «non» à un certain moment ne signifie pas que, des années plus tard, en présence d’autres projets, on ne puisse pas changer d’avis. Par ailleurs, un nouvel aspect est à prendre en compte aujourd’hui: le tunnel actuel devra être fermé à la circulation pendant une période prolongée en raison d’importants travaux d’entretien.

Fabio Pedrina: Je ne me suis jamais opposé à un vote du peuple sur la question ­d’un second tunnel. Mais ce vote devrait avoir lieu après la mise en service de la NLFA, car celle-ci remodèlera complètement le système des transports au Tessin. Or, les partisans d’un second tunnel cherchent par des moyens détournés à éviter un scrutin populaire à ce sujet. De plus, on ne peut pas traiter le Gothard indépendamment de la politique des transports dans son ensemble.

Quelle est la meilleure solution pour la période des travaux d’assainissement du tunnel?
Fabio Pedrina: L’assainissement du tunnel routier peut et doit être effectué après la mise en service de la NLFA. Le trafic routier lourd subsistant pourra être mis sur le rail entre Airolo et Göschenen; pour les voitures, un train d’autos devra circuler entre Erstfeld et Biasca, Ou inversement.

Dick Marty: Je défie quiconque de prouver qu’à l’avenir, le trafic routier et le trafic ferroviaire actuels pourront être concentrés exclusivement sur le rail! De plus, le rail gagnera énormément en attractivité, de sorte qu’il sera bien davantage utilisé – on peut le constater avec le tunnel de ­base du Lötschberg.

Fabio Pedrina:
Je dois contredire Dick Marty. Des analyses techniques réalisées à notre demande il y a déjà plusieurs années démontrent que les capacités ferroviaires seront suffisantes si l’on tient compte ­d’une moindre utilisation durant le semes­tre d’hiver, où le trafic est plus faible, et si le transport de voitures par le rail est ­réparti entre le tunnel de base et le tunnel de faîte. Donc, nul besoin d’un second ­tube routier pour surmonter cette phase transitoire. Il ne faut pas prendre prétexte d’un nécessaire assainissement pour tenter d’imposer quelque chose qui, sans cela, ne pourrait être à l’ordre du jour.

Dick Marty: Après avoir consulté de nombreux experts, je conteste énergiquement qu’il soit possible de mettre sur le rail la totalité du trafic empruntant l’axe du Gothard. Toutes les expériences le démontrent: le chemin de fer n’est pas en mesure d’absorber une majeure partie du trafic routier.

Est-il possible de réaliser un second tube routier sans accroissement de capacité?
Dick Marty: Pour que les choses soient claires: je ne suis favorable à un second tube que dans la mesure où il n’en résulte aucun accroissement de capacité. Il y aurait deux tubes et, dans chacun de ceux-ci, le trafic se déroulerait dans un seul sens et sur une seule voie. La deuxième voie de circulation servant de bande de sécurité. La capacité serait donc inchangée. L’un des deux tubes ne pourrait être utilisé en mode bidirectionnel qu’à titre exceptionnel, par exemple en cas de fermeture de l’autre tube.

Fabio Pedrina: C’est bien là le hic. Je suis sûr à cent pour cent qu’un deuxième tube entraînerait un accroissement de capacité. Dick Marty a dit à juste titre qu’un ­doublement du tunnel permettrait d’avoir potentiellement sous la montagne une autoroute à quatre pistes. Ce sera alors un jeu d’enfant d’ouvrir effectivement ces quatre pistes au trafic! On dira: «Nous avons creusé cet autre tube, ce n’est pas pour l’utiliser à moitié!» Vous pouvez promettre qu’il n’y aura pas d’accroissement de capacité; dans les faits, il y aura bien une traversée routière à quatre voies. Une fois de plus, on pense pouvoir mener le peuple par le bout du nez!

Dick Marty: C’est un procès d’intention. En Suisse, autant que je sache, on respecte les lois et la Constitution.

Ces dernières années, de nombreuses mesures ont été prises pour améliorer la sécurité dans les tunnels suisses, y compris dans celui du Gothard. Cela ne suffit-il pas?
Dick Marty: Même en prenant toutes les mesures possibles, cet ouvrage de 17 kilomètres de longueur, sans séparation physique des flux de trafic et sans bande de sécurité, reste incontestablement dangereux. Comme je l’ai déjà dit au Conseil des Etats – peu de temps après survenait la tragédie de 2001, de sorte que je le répète à contrecœur: je crains qu’il ne faille une autre tragédie pour que nous ouvrions les yeux. Avec deux tubes, il n’y aurait pas de trafic en sens inverse, ce qui réduirait à 0 le risque de collision frontale.

Fabio Pedrina: Je crains, hélas, qu’il faille une autre catastrophe pour que nous ouvrions vraiment les yeux sur un autre problème crucial: celui du trafic poids lourds! Dick Marty a sans doute le même avis que moi à ce sujet. Lui aussi s’est battu pour une diminution drastique du nombre de camions empruntant l’axe du Gothard. Mais si nous voulons accroître la sécurité, nous devons nous atteler beaucoup plus énergiquement à la réalisation du transfert modal. Si nous acceptons une nouvelle augmentation du trafic – et c’est ce à quoi conduit au bout du compte la fluidification de la circulation telle que la prône Dick Marty avec l’idée d’un second tube –, nous aurons, aussi à l’extérieur du tunnel, à en supporter les conséquences négatives pour la sécurité routière et la santé de la population. Puisque l’on parle de sécurité, la solution la plus efficace – et qui par-dessus le marché offrirait la même capacité qu’aujourd’hui tout en étant beaucoup moins coûteuse – serait de transformer l’actuel tunnel routier en un tunnel pour navettes ferroviaires, à l’instar du tunnel sous la Manche.

Dick Marty: Un système de navettes ferroviaires engendrerait des bouchons interminables aux stations de chargement et, par voie de conséquence, des émissions polluantes extrêmement nocives à Göschenen et en haute Léventine. Je suis bien ­d’ac­cord qu’il faut limiter le trafic poids lourds et, autant que possible, le trafic routier privé, mais pas en créant un goulet d’étranglement au Gothard. Il existe aussi des comportements totalement absurdes qu’il faut combattre. Un exemple: dans le tunnel du Gothard se croisent des camions transportant de l’eau minérale. Et pourquoi? Parce qu’au sud des Alpes on boit de l’eau provenant du nord de l’Europe et qu’au nord des Alpes on préfère la San Pellegrino!

Combien coûterait la réalisation d’un second tube au Gothard et quel en serait le financement?
Dick Marty: D’après les estimations de l’ingénieur Lombardi, le deuxième tube coûterait 900 millions. Les automobilistes paient d’ores et déjà pour les projets routiers et cet argent alimente abondamment le fonds destiné au financement de ces projets. Je n’ai rien contre un relèvement de la surtaxe sur les carburants. On pourrait même supprimer les impôts sur la circulation et peut-être – du moins partiellement – les primes d’assurance pour les répercuter sur le prix de l’essence, de telle manière que les automobilistes aient à verser exactement ce qu’ils doivent en fonction de l’utilisation effective du véhicule. Un tel système contribuerait également à diminuer l’usage de véhicules privés. De surcroît, les étrangers paieraient l’essence en Suisse au même prix que dans leur pays, ce qui augmenterait aussi les recettes.

Fabio Pedrina: Le coût d’un tel ouvrage était estimé à plus d’un milliard de francs en 2004. Je pense qu’il se situerait entre un milliard et demi et deux milliards. Une telle somme permettrait de financer d’autres solutions dont l’impact au Tessin, sur le système des transports en général et sur la sécurité des usagers dans leur ensemble, seront plus favorables. Selon moi, priorité doit être donnée au prolongement de la NLFA vers le sud depuis Biasca. Par ailleurs, le canton du Tessin n’a pas encore terminé l’assainissement de l’autoroute conformément aux normes en matière de protection de l’environnement, de lutte contre le bruit et de sauvegarde du paysage. Avec cet argent, on pourrait rehausser l’attractivité du Tessin pour sa population et les touristes, tout en améliorant significativement la sécurité grâce au ferroutage.