Quand Martin Graf est entré au comité de l’Initiative des Alpes, au printemps 2000, personne ne savait à quel point il serait bientôt indispensable: comme spécialiste du rail, comme militant et comme ami. Portrait d’un grand voyageur
chm. «Je n’ai malheureusement pas fait grand-chose pour l’Initiative des Alpes», dit Martin Graf en souriant. Il faut dire qu’il cultive l’art de la litote. Car, depuis 1996, il a été de presque toutes les actions et assemblées, dans toute l’Europe mais surtout dans la région du Mont-Blanc et en Maurienne, apportant son savoir par-ci, donnant un coup de main par-là. Quand il est question d’acquérir des wagons surbaissés pour la chaussée roulante, il fournit tous les détails nécessaires à Modalohr et Bombardier. Quand l’Initiative des Alpes prévoit une action, c’est lui qui connaît le mieux les itinéraires et les choix modaux des transporteurs. Et quand il s’agit d’évaluer les emplacements possibles des terminaux Modalohr, il se déplace en Allemagne et en Italie pour se faire sa propre idée.
Du cirque à l’Afrique Il habite à Genève, avec vue sur le Mont-Blanc et le Jura, mais surtout près de la gare. Car Martin a la bougeotte, depuis toujours. Il voit le jour en 1935 à Langnau et n’a pas une jeunesse facile: son père est de santé délicate, sa mère décède prématurément. Lui et ses trois frères doivent travailler dur. Martin suit l’Ecole d’administration de Saint-Gall. Après avoir travaillé cinq ans aux PTT, il abandonne cet emploi pourtant sûr. Insensé! Il part en Angleterre et s’inscrit à la London School of Economics. Pour payer ses études, il trouve des petits jobs: guide touristique, vendeur de fruits et légumes à Covent Garden…
En 1961, il lit une annonce du cirque Knie: «cherche secrétaire de direction». Durant cinq ans, il est le bras droit de Fredy Knie, engage le personnel, rédige les contrats, organise les transports de la troupe et les délicats achats de chevaux anglais. Il soutient Fredy Knie quand celui-ci s’oppose à l’idée de faire transporter le cirque par camion plutôt que par chemin de fer. Puis vient l’appel de l’Afrique: un ami le recommande à Alusuisse, qui cherche une personnalité capable d’assainir sa mine de bauxite de Sierra Leone, laissée à l’abandon. «C’était très simple», assure Martin Graf, qui explique comment il s’y est pris pour réorganiser les transports du minerai avec un millier d’ouvriers et multiplier la production. Deux ans après, Alusuisse l’envoie en Australie pour y créer une mine.
Là, il rencontre son cousin, propriétaire de mines d’opales et de saphirs. Martin Graf apprend «ce qu’il faut savoir sur les pierres précieuses». A Genève, il fonde, la «Martin Graf SA» pour l’importation de pierres précieuses, qu’il gère jusqu’à sa retraite. «Dans la branche versatile des pierres précieuses, il faut être prudent et avisé», explique Martin. Trop de précipitation peut mener à la ruine. Ce n’est sans doute pas par hasard si Graf SA est devenu le numéro un européen de l’opale.
Les voyages entretiennent l’amitié Martin trouve bientôt la conduite automobile fatigante et dangereuse. Il préfère prendre le train avec sa «valise de monteur» pleine de pierres précieuses pour visiter sa clientèle en Suisse et à l’étranger. Dans les voitures-restaurants, il noue des amitiés pour la vie, avec toujours le souci d’«apporter modestement son aide». Cela tourne parfois à l’aventure, comme en août 1968, lorsqu’il recueille des informations pour ses connaissances du Printemps de Prague en Union Soviétique, qu’il parvient à quitter de justesse – trois jours après, les troupes russes entrent pour la deuxième fois dans la capitale tchèque. Plus tard, il vend son stock de pierres précieuses à son neveu, pour l’«aider un peu» à démarrer dans la branche. Martin soigne ses amitiés: quand il n’est pas en voyage, il accueille des invités. Il a également donné «un petit coup de pouce» à son filleul installé en République tchèque, en lui construisant un restaurant.
A présent, Martin souhaite se ménager «un peu»… à sa manière: hier, il était à Iselle (I) pour y apprendre des choses intéressantes sur le transport au Simplon. Aujourd’hui, il fait un petit saut à Ferney-Voltaire (F). Demain, il se rendra à Modène (I) pour le compte du Groupe Transport ferroviaire de l’ATE. Après-demain, il accompagnera un ami à Innsbruck (A) et reviendra par le Tyrol du Sud (I). Nous souhaitons à Martin Graf une belle retraite (hyper)active, en espérant qu’il continuera à nous aider «un peu» à travers ses voyages et ses réflexions.
CEVA: l’idée fixe de quelques vieux messieurs
chm. A Genève, il existe une discontinuité dans la chaîne de transport entre la gare de Cornavin et celle des Eaux-Vives. Le trafic automobile en provenance d’Annemasse engorge le centre-ville. L’ATE et la gauche voulaient un métro léger, les milieux automobile une nouvelle route. Seuls quelques vieux messieurs entêtés, dont Martin Graf, ont estimé qu’entre deux gares, la liaison logique et idéale est une voie ferrée… Seule susceptible, qui plus est, d’amener enfin sur le rail les navetteurs, touristes et marchandises entre Genève et la Haute-Savoie. A cette fin, ils ont créé lAlp-Rail, au sein de laquelle Martin Graf a mené pendant près de trois ans auprès des députés, à la buvette du Grand Conseil, un discret mais efficace travail de lobbying. «Au début, ils étaient tous contre nous», se souvient-il avec ironie. Une nouvelle ligne de chemin de fer? Ça ne passera jamais, c’est trop compliqué, et la Confédération ne verserait rien. Alp-Rail a alors ressorti une promesse faite par la Confédération en 1912, confirmée par Moritz Leuenberger: «La convention de 1912 s’- applique, la Confédération paiera.» L’association a réussi à convaincre la gauche et les écologistes, les libéraux et les automobilistes. En 2000, le Grand Conseil acceptait à l’unanimité (avec une abstention) un crédit d’étude. En 2002, un accord était signé entre la Confédération, le Canton et les CFF. Les travaux de la future ligne Cornavin-Eaux-Vives-Annemasse (CEVA) commenceront en 2005, cela même si les subventions fédérales ne seront pas versées avant 2007. Et Martin Graf? Il a depuis longtemps une autre idée en tête: un tunnel ferroviaire de base sous le Mont-Blanc.