Plusieurs camions connectés électroniquement et se suivant en file indienne à travers les Alpes ? C’est ce dont rêve l’industrie routière. Même si elle le prétend, ces convois nommés « platooning » ne sont pas profitables à l’environnement, au contraire.
Les pelotons routiers : un convoi de camions en réseau numérique, relié par radio et circulant à très courte distance. Graphique : Scriptum, Rafael Brand
tob. Ce n’est pas une plaisanterie. Un journaliste allemand imagine déjà un nouveau métier : « Agent d’expédition avec qualification de conducteur ». Quelle serait donc son activité ? Détenteur d’une formation commerciale, il serait assis dans la cabine et s’occuperait de travaux de bureau tandis que son véhicule roule en peloton derrière d’autres. Le chauffeur en tête conduit le convoi et les autres poids lourds suivent, reliés entre eux électroniquement.
Dans la branche, cette manière de circuler s’appelle « platooning » (de l’anglais platoon : peloton). On parle aussi de la barre d’attelage électronique qui relie les camions. Dixit le journaliste, le chauffeur commercial du camion de file n’interviendrait « que si sa machine était fortement sollicitée ».
Essais au Gothard ?
Le journaliste a peut-être raison. D’une part, des essais de fonctionnement du « platooning » se font actuellement aux USA, au Japon et en Allemagne. D’autre part, le Conseil fédéral également en distingue les possibilités techniques. Dans son rapport sur le transfert 2017, il écrit : « Dès que la conduite autonome sera réalité, la production à l’aide de véhicules marchandises autonomes sera très importante aussi en fret transalpin». Puis : « C’est surtout l’axe routier du Saint-Gothard qui présente un potentiel d’utilisation de véhicules marchandises autonomes. » Voilà.
Andreas Meyer, directeur des CFF et l’Office fédéral des routes s’étant prononcés favorablement sur le « platooning », Marina Carobbio Guscetti, notre viceprésidente et conseillère nationale du Tessin, s’est informée auprès du Conseil fédéral. Dans sa réponse, celui-ci écrit qu’il est ouvert à « des essais pilotes en matière de pelotons routiers sur le réseau suisse des routes nationales, ceux-ci permettraient de déterminer les avantages et les inconvénients de ce système ainsi que ses effets sur la sécurité. »
Davantage de CO2
L’argument avancé en faveur du « platooning » serait qu’il permettrait de réduire le CO2 : les camions roulent en peloton serré, réduisant ainsi la traînée aérodynamique, ils consomment donc moins de diesel. Cette économie de carburant cependant dépend de nombreux facteurs tels que la distance parcourue par le convoi, la vitesse, la pente, etc… Les estimations à ce sujet sont divergentes et se situent entre 3 et 20 %. Si les uns pensent qu’il représente une innovation importante pour le trafic de marchandises, les autres affirment que le « platooning » existe depuis longtemps – les trains de marchandises sur le rail ».
Mais quel est réellement le but visé par les entreprises de transports avec ces pelotons routiers ? Si les camions consomment moins de diesel, les transports routiers deviendront encore meilleur marché. Pour cette raison, l’expert en transport de Winterthour Thomas Sauter-Servaes a osé énoncer une prévision dans le magazine « Beobachter » : à long terme, le peloton routier mènera à un retransfert des marchandises du rail à la route ! Il en résultera donc que si les rejets de CO2 d’un seul camion seront quelque peu réduits, en raison de la hausse du nombre de courses poids lourds, les émissions polluantes rejetées dans l’atmosphère augmenteront, accentuant le réchauffement climatique. Sans compter l’augmentation des encombrements sur les routes et la pollution sonore dans les vallées alpines.
Sécurité menacée
Si la Suisse compte réellement réduire les émissions de CO2 du trafic de marchandises, ces convois ne sont pas la solution. Le transfert des marchandises au rail est bien plus efficace. Chaque camion qui ne traverse pas les Alpes par la route fait 100 % d’économie de diesel. La Suisse a investi en outre des milliards dans les nouveaux tunnels ferroviaires à travers les Alpes. C’est ici que se trouve le potentiel pour promouvoir un trafic alpin respectueux de l’environnement, pas sur la route !
S’ajoute à cela que les camions roulent aujourd’hui déjà en file sur les axes de transit. Mais, si les distances devaient encore se raccourcir entre les véhicules, comment les automobilistes pourraient-ils alors entrer sur les autoroutes ou en sortir ? Que se passe-t-il si le premier camion d’un convoi fonce dans un bouchon suivi par le 40 tonnes suivant? Dans sa réponse à l’intervention de Marina Carobbio Guscetti, le Conseil fédéral présume que les pelotons routiers ne pourront pas être mis en oeuvre de manière judicieuse en Suisse vu la forte densité des jonctions autoroutières et des ouvrages d’art.
L’Initiative des Alpes, elle, est certaine que le « platooning » est tout simplement la prochaine vision du lobby routier, après celle des méga-camions, pour réduire encore les coûts et gagner en parts du marché, au détriment de l’environnement et de la sécurité routière.
De nouvelles mesures sont nécessaires
Qui veut protéger les Alpes du trafic de transit doit poursuivre trois stratégies : éviter les transports inutiles, réduire le volume des transports et transférer au rail le plus de marchandises possible.
Pour atteindre l’objectif de transfert de maximum 650 000 camions en transit alpin par année ancré dans la Constitution et la loi, l’Initiative des Alpes a proposé 10 mesures dont 3 sont essentielles dans la lutte contre les rejets de CO2 et le réchauffement climatique :
introduire des objectifs de flotte pour les camions (une valeur limite légale des rejets de CO2 pour la flotte complète de véhicules neufs immatriculés d’un fabricant).
compléter la RPLP d’un nouvel élément portant sur les rejets de CO2 des camions.
promotion active et incitation financière des innovations dans le trafic ferroviaire par la Confédération.
Journal échos 149